Articles & Media

Mariage arrangé entre luth et instruments électroniques

By Patrick Labesse
Le Monde November 5th, 2005

La Seine Saint-Denis a beau traverser les turbulences que l'on sait, vendredi 4 novembre, dans la soirée à Montreuil, L'Argo'Notes, petite salle de concerts de la Maison populaire, est pleine. A l'affiche, la chanteuse et musicienne palestinienne Kamilya Jubran, avec un trafiqueur de sons électroniques, le Suisse Werner Hasler. Puis, en seconde partie de soirée, un duo formé par le joueur d'oud français d'origine tunisienne Jean-Pierre Smadja, alias Smadj (la moitié du projet DuOud, avec le oudiste algérien Mehdi Haddab), en compagnie du percussionniste Cyril Hernandez, compositeur en résidence à la Maison populaire de Montreuil, tous les deux également fondus d'électro.

A l'instar d'Ousmane Touré (ex-membre du groupe sénégalais Touré Kunda), qui s'est, lui, produit à Bobigny, ces deux tandems férus d'expérimentations sonores y sont programmés dans le cadre du festival Villes des musiques du monde, manifestation née en 1997 à Aubervilliers, désormais éclatée sur quinze villes de la Seine-Saint-Denis, comme sa collègue Africolor, qui débute quelques jours après (du 25 novembre au 17 décembre).

Originaire de Galilée, Arabe de nationalité israélienne, arrivée en Europe en 2002, après vingt ans de vie musicale au sein du groupe palestinien Sabreen, Kamilya Jubran a commencé à collaborer avec Werner Hasler, musicien de jazz formé à la Swiss Jazz School de Berne, au cours d'une résidence artistique en Suisse où elle avait été invitée par la fondation Pro Helvetia A travers la musique électroacoustique, tous deux se sont trouvé des atomes crochus, des envies créatives de manipulations sonores. La voix fluide et serpentine, constellée de nuances, Kamilya Jubran passe du murmure à l'éclat, étire syllabe après syllabe, jouant avec le silence, ou accélère au contraire les mots, les phrases de poètes arabes contemporains (le Libanais Gubran Khalil Gubran, la Syrienne Aïcha Amaout, la Jordanienne Sawsan Darwaza...). Elle chante en s'accompagnant d'un oud, le luth arabe.

Werner Hasler, équipé d'un synthétiseur et d'échantillons sonores enregistrés, habille et déshabille, brouille et pimente de parasites, de bruissements, de fréquences, la voix et l'instrument. Minimaliste, ludique malgré une certaine austérité, une esthétique insolite et passionnante que l'on pourra retrouver le 18 novembre sur CD (Wameedd/Abeille Music).

En seconde partie de soirée, Smadj et Cyril Hernandez apprennent à leurs dépens que l'électronique peut parfois se rebeller. Après une demi-heure d'infructueuses tentatives pour donner vie à ses machines, Cyril Hernandez se résout à abattre ses cartes percussions et jeux de voix) en version acoustique. Smadj donne au oud des allures de guitare électrique saturée et, plus chanceux que son comparse, déclenche de son clavier d'ordinateur des programmations. Pour juger de l'ingéniosité de leurs tricotages, il faudra attendre un jour ou câbles et machines voudront bien jouer le jeu. Dehors, en quittant la salle, d'autres signes de dérèglement. Au loin hurlent des sirènes de voiture, une odeur âcre de brûlé flotte dans la nuit.